En GrèceDe la guerre médiatique à la polarisation
La Grèce vit actuellement des tensions entre les deux extrêmes de l'échiquier politique. L'attentat visant le média Skaï n'a fait qu'augmenter les rivalités.

Angela Merkel sera reçue en Grèce jeudi et vendredi. (Angela Merkel et Alexis Tsipras, photo d'archive)
La Grèce connaît, pour son entrée en année électorale, une confrontation acharnée entre la gauche d'Alexis Tsipras et l'opposition de droite, entretenue par une guerre sans merci du monde médiatique, soulignent des analystes. Dernier événement en date dans cette polémique: le récent attentat à la bombe visant le groupe de médias Skaï à Athènes, qui a vu la multiplication des messages vindicatifs de deux côtés de l'échiquier politique.
D'un côté, les journalistes de Skaï ont accusé «certains cadres gouvernementaux et des mécanismes de propagande d'avoir transformé la station en une cible»; de l'autre, le gouvernement d'Alexis Tsipras a appelé «à ne pas lier l'attentat à la confrontation politique». «Aujourd'hui, la polarisation politique, qui alimente une telle violence, s'intensifie», a écrit Nikos Konstantaras, chroniqueur du quotidien Kathimerini, qui appartient au groupe Skaï. «Après des années de crise», nous nous acheminons vers le climat électoral «le plus polarisé qu'on ait connu ces dernières années».
Elections législatives prévues qu'en septembre
Alors que la campagne électorale n'est pas officiellement lancée, cette bipolarisation s'affiche déjà dans les sondages, la gauche et la droite se partageant la majorité des voix dans les intentions de vote --, avec une avance de 4 à 14% pour la droite --, ne laissant que des miettes aux petits partis, socialistes et d'extrême-droite. Les élections législatives, prévues en septembre, risquent d'être anticipées en raison du vote crucial prochainement au Parlement de l'accord sur le nouveau nom de la Macédoine. De nombreux partis s'y opposent et une motion de censure pourrait affecter la faible majorité parlementaire. Mais la visite, jeudi et vendredi, de la chancelière allemande Angela Merkel en Grèce, est perçue comme un soutien européen au gouvernement.
Il y a quatre ans, l'élection de Syriza du Premier ministre Alexis Tsipras était vue comme une percée dans le paysage politique, dominé jusque-là par les partis traditionnels, la droite de Nouvelle-Démocratie et les socialistes Kinal (ex Pasok), tenus responsables de la crise de la dette de 2010.«Le discrédit des partis lors de la crise a entraîné celui des médias liés traditionnellement à l'Etat et aux marchés publics», explique à l'AFP Stélios Papathanassopoulos, professeur des médias à l'Université d'Athènes. Face à l'hostilité médiatique, le gouvernement formé par une coalition de gauche et du petit parti souverainiste Anel, a ouvert la guerre aux «oligarques des médias», les propriétaires des puissants groupes médiatiques.
Le déclin des médias traditionnels
«En Grèce, la dépendance des médias traditionnels vis-à-vis de l'Etat est la plus importante d'Europe et n'est comparable qu'à la Turquie», a récemment écrit George Pleios, professeur à l'Université d'Athènes et membre du Centre européen de la liberté de la presse et des médias (ECPMF).
Pour Nikos Smyrnaios, professeur à l'Université de Toulouse, le déclin des médias traditionnels et le passage à la tweet information est lié surtout «aux pathologies de l'espace public». «Ainsi lors de la crise, le destin de l'Etat (le défaut de paiement ndlr) a condamné les médias à un sort similaire.» Dans ce climat, la gauche a profité de l'élan des réseaux sociaux après les grandes manifestations anti-austérité.
- Les réseaux -
«Les jeunes, qui étaient alors la majorité de l'électorat du Syriza, ont contesté la fiabilité des médias et leur discours institutionnel et ont misé sur des réseaux alternatifs», affirme Stelios Papathanassopoulos. Le passage à la tweet politique a porté un nouveau coup à l'information, frappée comme partout par les fausses nouvelles. Une réforme audiovisuelle du gouvernement en 2016 s'est achevée par le rachat de trois groupes, dont deux de presse, pour éviter la faillite, et la réduction du nombre de chaînes de télévision.
«Cette réforme, qui était l'occasion de laisser de l'espace aux petits acteurs indépendants, n'a pas donné les résultats attendus, les groupes médiatiques sont toujours dans les mains d'influents entrepreneurs», déplore Nikos Smyrnaios. Dernier épisode du malaise du secteur: «le monopole» de la distribution de la presse, assurée par une agence appartenant en majorité à un quotidien influent. De nombreux journaux ont dénoncé «une menace la liberté de presse» tandis que l'affaire est actuellement examinée par la commission de la concurrence. «En Grèce, comme dans de nombreux pays d'Amérique Latine, on a franchi les limites de la déontologie journalistique, nous sommes plutôt dans l'émotionnel, ravivant de vieilles haines entre la gauche et la droite qui remontent à la guerre civile», estime Nikos Smyrnaios.
(L'essentiel/nxp/afp)