Au LuxembourgLes statistiques ethniques, danger ou nécessité?
LUXEMBOURG - Faut-il recenser les personnes selon leur couleur de peau pour mieux lutter contre le racisme? Les associations sont divisées, le ministère de la Famille est contre.

Une manifestation s'est tenue le 5 juin, devant l'ambassade américaine, pour dénoncer le racisme.
En pleine ébullition suite au mouvement «Black Lives Matter», les associations antiracistes se trouvent face à un dilemme, également au Luxembourg. Pour mieux caractériser les discriminations, faut-il adopter un modèle à l'américaine basé sur les statistiques ethniques ou consacrer la non-différenciation propre à la société luxembourgeoise?
Pour Sandrine Gashonga, présidente de l'association Lëtz Rise Up, à l'origine de la manifestation en hommage a George Floyd, le 5 juin dernier, le modèle de lutte traditionnel contre le racisme a fait son temps.
«Impossible de faire un diagnostic sans statistiques»
«Pour combattre le racisme de manière efficace, il faut d'abord rendre visible l’effet des structures sociales qui rendent possibles le racisme, et c’est possible à travers les statistiques ethniques. Il faut pouvoir mesurer, quantifier ces effets, la seule façon de faire un diagnostic clair et précis. Il est impossible de faire un diagnostic sans statistiques».
La responsable de l'association justifie son propos en s'appuyant sur plusieurs constats: «L'inefficacité des outils législatifs et de "promotion de la diversité"» et la rareté des actions judiciaires. «Le Centre pour l'égalité de traitement (CET) par exemple n'a enregistré que 31 dossiers concernant la discrimination raciale» et la Charte de la diversité «n'est pas contraignante» pour les entreprises qui la signent, précise-t-elle.
«Un risque en termes de stigmatisation»
Active depuis de nombreuses années dans la lutte contre les discriminations, l'ASTI (Association de soutien aux travailleurs immigrés) est beaucoup plus prudente sur le sujet, comme l'explique son porte-parole Sérgio Ferreira: «Effectivement, les statistiques ethniques peuvent nous révéler des situations que l'on ne pouvait pas réellement évaluer. Mais elles constituent un risque en termes de stigmatisation».
«Ces données pourraient être manipulées», et potentiellement servir des discours accusatoires sur les personnes d'origines immigrées notamment. Selon l'ASTI, la lutte contre le racisme passe notamment par l'utilisation des statistiques déjà existantes. «La discrimination effective sur les élèves d'origine étrangère en termes d'orientation, on la connaît depuis 40 ans», illustre M. Ferreira, tout en admettant que «la question doit être discutée».
«L’État ne fera pas de statistiques ethniques»
Car l'idée de statistiques ethniques se heurte à un obstacle incontournable. Comment fixer des catégories ethniques, et surtout comment définir l'appartenance à tel ou tel groupe supposé? «La "donnée raciale" dont il s’agit est une donnée sociale et non biologique. C’est aussi pour cette raison qu’elle doit être déclarative, car la race est avant tout une expérience sociale. La race dépasse la pluralité biologique possible des origines», déclare Sandrine Gashonga.
Une vision très actuelle de l'antiracisme que certains opposent à l'universalisme, qui ne reconnaît ni couleur ni groupe ethnique. Cette tradition héritée de la République française ne peut être remise en cause, estime le gouvernement. Le ministère de la Famille s'est d'ailleurs montré inflexible sur le sujet: «L’État ne fera pas de statistiques ethniques au nom de l'égalité entre les citoyens. Le Luxembourg veut intégrer chaque personne quelle que soit son ethnie».
Cela n'empêche pas les députés de réfléchir à de nouvelles manières de lutter efficacement contre le racisme au Luxembourg. Une étude sur la discrimination raciale verra ainsi le jour en 2021, sur proposition du député DP, Max Hahn. Et le CET verra ses compétences élargies. Suffisant pour se passer des statistiques ethniques?
(Thomas Holzer/L'essentiel)