Témoignage: Médecin pendant des années à Gaza, il vit aujourd’hui au Luxembourg

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TémoignageMédecin pendant des années à Gaza, il vit aujourd’hui au Luxembourg

BOUS – Longtemps médecin anesthésiste à Gaza, avant d’émigrer au Luxembourg il y a quatre ans, Nashaat Darwish assiste aujourd’hui impuissant à la souffrance de sa famille et de ses collègues restés dans l’enclave palestinienne. Il raconte.

Yannis Bouaraba
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Yannis Bouaraba
Nashaat Darwish connaît bien les hôpitaux de Gaza.

Nashaat Darwish connaît bien les hôpitaux de Gaza.

Vincent Lescaut

«À Gaza nous avons vécu plusieurs agressions, mais celle-ci est de loin la plus violente, la plus dramatique». Nashaat Darwish, 49 ans, a quitté Gaza en 2019 pour émigrer au Luxembourg, où sa femme et ses trois enfants ont pu le retrouver deux ans et demi plus tard.

Médecin généraliste et anesthésiste, il a exercé pendant près de 18 ans dans plusieurs hôpitaux du territoire enclavé, dont celui d’Al-Chifa, l’un des plus grands établissements de santé, cible depuis plusieurs jours d’une opération de l’armée israélienne.

Nashaat ne peut pas s’empêcher de penser à ses ex-collègues, avec qui il est en contact, qui exercent dans des conditions déplorables. À l’hôpital Al-Chifa, à l’hôpital indonésien ou à l’hôpital Kamal Adwan, où il a travaillé, il décrit les mêmes scènes: «Toutes les équipes travaillent jour et nuit sans répit. Elles vivent à l’hôpital et ne rentrent pas chez elles. À chaque bombardement, des dizaines de victimes arrivent en même temps. Les établissements de Gaza n’ont pas les capacités nécessaires. Sans électricité, sans carburant, comment peuvent-ils sauver les gens?» s’interroge-t-il, désabusé.

Dans son salon, ses yeux ne quittent pas la petite télévision, branchée en continu sur la chaîne d’information en arabe Al-Jazeera. «Du soir au matin, je regarde les nouvelles», explique-t-il, en montrant du doigt l’écran, où l’un des reporters palestiniens vedette, Wael Al-Dahdouh, est en direct devant une fosse commune où sont entassés des dizaines de corps enveloppés dans des sacs plastique bleus, alors que la trêve a débuté vendredi matin.

Vincent Lescaut

Tarneem, l’épouse de Nashaat, tend son téléphone et montre les visages de membres de sa famille décimée par un bombardement sur leur maison. «Ils sont tous morts cette semaine. Les gens disent que pendant la trêve, ils pourront essayer de retrouver des corps et enterrer leurs morts sereinement», lance-t-elle. Sans contact direct pendant trois semaines avec sa famille, dont la maison n’est plus habitable, Nashaat a appris jeudi qu’ils étaient sains et saufs.

«Ils attendent l’arrêt des combats pour décider de ce qu’ils feront. Sans eau, sans nourriture, sans électricité, je ne sais pas vraiment comment ils vivent», ajoute-t-il. Cependant, le médecin de 49 ans voit mal comment ses parents, très âgés, et restés à Beit Lahia, à l’extrême nord de la bande de Gaza, pourraient rejoindre le sud à pied. Selon lui, l’armée israélienne veut forcer les civils à l’exil, chose que les habitants de Gaza refusent. «Les Palestiniens chassés de leurs maisons en 1948 ne sont jamais revenus. Ils savent qu’un départ serait définitif», affirme-t-il.

Vincent Lescaut

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