Interview Paulette Lenert: «Tout le monde est à bout face au Covid»

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Interview Paulette Lenert«Tout le monde est à bout face au Covid»

LUXEMBOURG - Coups durs, efforts, popularité: Paulette Lenert, ministre de la Santé depuis pile un an, se confie à «L'essentiel».

Paulette Lenert n'imaginait pas devoir gérer une crise sanitaire.

Paulette Lenert n'imaginait pas devoir gérer une crise sanitaire.

Julien Garroy

«L'essentiel»: Auriez-vous pu imaginer une telle première année au ministère?
Paulette Lenert: Clairement non. Et je n’ose même pas imaginer les mois qui viennent, car cela ne devient pas moins stressant. Variant, production et livraisons de vaccins... Chaque semaine, il y a quelque chose. Chaque saison a eu son stress et tant que la pandémie ne sera pas finie, cela ne changera pas.

Aviez-vous hésité à accepter ce poste à la Santé?
Pas vraiment. C’était le premier ministère qui m’avait été proposé. J’ai eu d’autres ressorts ensuite. C’était un grand défi, mais j'ai dit oui avec beaucoup de plaisir.

Avez-vous déjà regretté ou voulu renoncer?
Ce n’est pas trop mon caractère. Mais, j'ai eu des moments où je me suis dit: «Ça ne va pas aller...». Comme tout le monde. Je ne le cache pas. Cette situation pousse à bout. On se dit que ce sera mieux dans six mois, mais six mois c’est long à ce rythme.

Quels ont été les moments forts de cette année?
La solidarité sur le terrain et dans nos équipes. Cela a marqué cette crise et ne s’est pas perdu. Je sais que je peux compter sur les acteurs de terrain. On est tous solidaires pour se battre.

Et les plus douloureux?
Quand on se sent impuissant en pleine poussée exponentielle comme en octobre. On ne sait pas jusqu'où ça va aller. Plus de nouveaux infectés, c'est plus de décès. C’est tragique. Chaque décès, c’est une vie, c’est un destin, une famille qui est touchée. C’est dur. Ce n’est pas une «grippette».

Y a-t-il eu des erreurs?
Au moment de prendre une décision, il y a des choses qu'on ne sait pas encore. Avec le recul, on aurait peut-être fait des choses différemment. Je ne vois pas d'erreur flagrante, mais on n'a pas encore assez de recul. Une fois la pandémie finie, un an après, on pourra certainement, la tête froide, détecter des erreurs. Elles génèrent des progrès. En octobre par exemple, il y a eu une montée dans les eaux usées d’une semaine à l’autre. Avec le recul on voit comment ça a évolué, on peut se dire qu'il eût été mieux d’agir un peu plus tôt. Mais à ce moment-là, on ne savait pas si on arriverait à stopper la vague avec les mesures prises. En fonction des données disponibles on a toujours cherché à faire de notre mieux.

Qu’est-ce qui vous rend fière?
L’engagement du personnel. Je suis fière de toute l’équipe. Les gens de la première heure sont toujours là avec le même enthousiasme. Ce n’est pas toujours facile, tout le monde est à bout.

Vous êtes très populaire. Que vous disent les gens?
Ils m’écrivent beaucoup, je n’arrive plus à répondre. Ça fait chaud au cœur. Mais la popularité, c’est biaisé, c’est vraiment dû à la crise et comme on ne sort pas, je le ressens moins. Je travaille et je rentre à la maison.

Êtes-vous surprise par la défiance à l’égard des politiques ou de la science?
C’est inhérent aux situations de crise. Les politiques sont exposés car ils doivent prendre des décisions. Et on regarde la science comme une réponse à tout, alors qu'elle est la première à dire «on n'a pas encore de certitudes». Il y a des attentes démesurées et cela crée des tensions. Cela me semble normal.

Issue du droit, le monde politique vous plaît-il? Suscitez-vous des jalousies au LSAP?
Je suis bien soutenue dans le parti. Il y a une grande solidarité. Pour l’instant, je ne peux pas me plaindre. Tout le monde essaie de me faire garder le moral. La vie politique est différente. Le métier en soi est passionnant. Si ce n’était pas aussi dramatique, ce serait passionnant. J’aime bien le stress et les défis. Mais le «dosage» est un peu exagéré en ce moment. Je commence à m’habituer mais ce n’est pas facile, du jour au lendemain, quand on n'a pas l’habitude de peser tous les mots, cela exige une certaine prudence.

En tant que socialiste, avez-vous eu des désaccords avec le Premier ministre Xavier Bettel DP?
Non, Xavier Bettel a un sens social très prononcé. C’est quasiment apolitique. On a à gérer une crise et à assumer la responsabilité de nos décisions. On cherche le meilleur résultat pour notre pays. Jamais, je n'ai annoncé une mesure à contrecœur. Par contre, il fut difficile vis-à-vis de l’opinion de plaider, l'été dernier, pour des mesures de précaution avec des chiffres terriblement bas. Mais nous savions que ça reprendrait à un moment donné.

Vos projets après la crise?
En tirer les leçons. Elle a mis en évidence beaucoup de fragilités, comme la grande dépendance au personnel frontalier, notamment dans la santé. On doit avancer là-dessus. Rendre plus attractifs ces métiers-là. Et puis j’ai hâte de retrouver mes autres dossiers pour en boucler un maximum. On a vu l'importance du système de santé. J'ai hâte de commencer mon «vrai» travail.

Aspirez-vous à d’autres responsabilités?
Pour l’instant, je pense qu’il y a énormément de travail ici. Il ne reste plus beaucoup de temps. Une législature ce n’est pas long. Il y a du pain sur la planche.

Où en sera-t-on dans un an?
J’imagine qu’on regardera les photos avec les masques, qu’on trouvera ça très drôle et qu’on pourra les ranger pour de bon. J’espère qu’on sera tous aussi soudés que pendant la crise.

(Recueilli par Nicolas Martin)

«Première chose que je ferais: aller skier»

Très exposée, Paulette Lenert peine à se ménager des pauses. «Ce n'est pas évident. Cela fait un moment que j'essaie d'avoir un petit break d'une semaine, mais ce n'est pas possible, dit-elle. J'aimerais bien aller skier, mais c'est hors de question. Cela me manque et c'est la première chose que je ferais». Côté famille, elle a deux filles. L'aînée vient de rentrer au Grand-Duché et l'autre est à l'étranger. «Elles n'ont pas eu trop à souffrir de ma vie politique. Avec mon mari, avec le confinement, on passe plus de temps ensemble qu'en temps normal».

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